
Le président rwandais, Paul Kagame, a suscité un vif débat en République démocratique du Congo (RDC) après ses déclarations tenues le samedi 15 avril 2023, lors de sa visite officielle au Bénin. Dans une conférence de presse conjointe avec son homologue béninois Patrice Talon, il est revenu sur la situation sécuritaire entre son pays et la RDC, affirmant que celle-ci est enracinée dans des problèmes historiques liés aux frontières coloniales.
Kagame a déclaré que l’origine des tensions actuelles remonte à l’époque coloniale, lorsque, selon lui, les puissances coloniales ont mal tracé les frontières, attribuant à tort certaines terres appartenant au Rwanda à ses pays voisins, notamment la RDC et l’Ouganda.
« Le problème du Congo, de la région ou du Rwanda n’est pas le M23. Le M23 est le produit de nombreux problèmes non résolus depuis des décennies. Si vous vous souvenez, le M23 existait bien avant l’arrivée au pouvoir de Félix Tshisekedi, en 2012 déjà. Ce mouvement est lié à des Congolais d’origine rwandaise », a affirmé Kagame.
Le président rwandais, souvent accusé par Kinshasa de soutenir le M23 – un groupe rebelle à majorité tutsi qualifié de terroriste par les autorités congolaises – a rappelé que la Conférence de Berlin, qui a fixé les frontières africaines à l’époque coloniale, avait privé le Rwanda d’une partie de son territoire.
« Une grande partie de notre pays a été laissée à l’extérieur : dans l’est de la RDC, dans le sud-ouest de l’Ouganda, etc. Ces populations, bien qu’ayant des origines rwandaises, ne sont pas Rwandaises, ce sont des citoyens de ces pays », a-t-il précisé.
Reconnu par plusieurs pays occidentaux pour avoir transformé le Rwanda après le génocide de 1994 contre les Tutsis – où plus d’un million de personnes furent tuées en 100 jours – Paul Kagame a insisté sur le fait que les frontières coloniales sont à la racine du conflit.
« C’est là que le problème commence. Ces personnes ont été privées de leurs droits en RDC. Le soulèvement de 2012, quand elles ont pris les armes contre leur propre gouvernement, en est une conséquence. Il est donc incohérent de se plaindre sans en comprendre les causes profondes. J’espère que l’implication régionale permettra de résoudre cette crise », a-t-il ajouté.
Réactions houleuses à Kinshasa
Les propos de Kagame ont immédiatement déclenché une vive réaction à Kinshasa. Patrick Muyaya, porte-parole du gouvernement congolais et ministre de la Communication, a accusé le président rwandais de chercher à justifier la présence de son pays en RDC sous des prétextes fallacieux tels que la présence des FDLR, la protection des Tutsis congolais ou encore l’accueil des réfugiés congolais au Rwanda.
« Kagame falsifie l’histoire. Ses déclarations sont une provocation supplémentaire. Ce qu’il ne dit pas, c’est qu’il est lui-même la source de l’insécurité à l’Est. Il a créé le RCD, le CNDP et le M23. Mais qu’il sache que nous défendrons chaque centimètre de notre territoire », a écrit Muyaya sur sa page Twitter.
De son côté, Martin Fayulu, figure de l’opposition congolaise, a également condamné les propos de Kagame :
« Les déclarations de M. Kagame remettant en question l’intégrité territoriale de la RDC sont troublantes. C’est un discours irresponsable qui ne fera qu’aggraver une situation déjà dramatique dans l’est du pays. Le Congo est un et restera indivisible », a-t-il tweeté.
Accusations mutuelles et tensions régionales
Le Rwanda et la RDC s’accusent mutuellement de soutenir des groupes armés actifs dans l’est du Congo, une région riche en minerais mais déstabilisée depuis plus de deux décennies. Kigali reproche à Kinshasa de collaborer avec les FDLR (Forces démocratiques pour la libération du Rwanda), un groupe armé composé en partie d’anciens génocidaires rwandais, tandis que la RDC affirme que le Rwanda soutient activement le M23.
La coopération diplomatique et militaire entre les deux pays est au plus bas. En décembre dernier, le président Tshisekedi a clairement indiqué qu’aucune négociation ne serait engagée avec le M23, qu’il considère comme un groupe terroriste appuyé par le Rwanda.
Malgré les appels au dialogue lancés par les rebelles, Kinshasa reste ferme : un État souverain ne négociera pas avec des terroristes. Un rapport publié en 2022 par les Nations Unies a confirmé que le Rwanda apportait un soutien au M23, tout en reconnaissant que la RDC faisait de même avec les FDLR.
Face à cette impasse, la Communauté de l’Afrique de l’Est (East African Community) a déployé une force régionale dans l’est de la RDC, avec pour objectif de pacifier une région en proie à une instabilité chronique